Les francs-maçons – Des inconditionnels de l’espoir est un livre d’offrande. Non pas dans la rhétorique d’un testament ou la solennité figée d’un legs, mais dans la nudité discrète d’un don intérieur, lumineux parce qu’il ne cherche pas à briller. Il s’agit d’un livre qu’on pourrait croire modeste, mais qui porte en son sein le poids tranquille d’un long compagnonnage avec le silence, l’écoute, et cette étrange alchimie que seuls les francs-maçons nomment travail.
Le mot « espérance » revient, comme un fil d’or, et l’on comprend très tôt qu’il ne s’agit pas ici d’un vague optimisme mais d’une posture ontologique. Ce que François Deschatres nomme « inconditionnels de l’espoir », ce sont les initiés qui, dans l’humilité des Ateliers, œuvrent encore à la transfiguration du chaos, convaincus que chaque pierre ajustée à la main, chaque parole prononcée en vérité, chaque silence habité, peut conjurer l’effondrement spirituel du monde. Ce n’est pas un cri, mais un souffle. Pas une apologie, mais une respiration.Les francs-maçons – Des inconditionnels de l’espoir
Dans l’écriture de François Deschatres, il n’y a rien d’ostentatoire : le style est limpide, sans recherche d’effet, mais chargé de cette densité qui ne s’apprend pas. Elle vient du long compagnonnage avec le rite, avec l’Autre, avec les mystères voilés du Temple. Il ne cherche pas à convaincre, encore moins à séduire ; il témoigne. Son livre est un miroir où le lecteur initié pourra retrouver les harmoniques de sa propre quête, et le profane – s’il vient le cœur nu – apercevoir l’ombre douce d’un autre monde.
Ce que nous recevons ici, ce n’est pas une histoire de la Franc-Maçonnerie, ni un traité d’ésotérisme, mais un viatique pour l’homme en marche. L’auteur y trace des lignes simples, essentielles, sur ce qu’est la Loge : une école où l’on apprend à écouter, à douter, à se taire, à se redresser. Une école de transformation lente, patiente, presque minérale. Il insiste – et c’est rare – sur le fait que l’initiation ne s’adresse pas à l’intellect, mais à la personnalité. Non pas au savoir, mais à l’être. Car il s’agit moins de comprendre que de devenir. Moins de penser que de naître à soi.
Il dit la Loge comme un lieu rare où s’exerce un dialogue vrai, rendu possible par l’obligation d’écoute. Cela pourrait paraître anodin, mais cela change tout. Dans un monde saturé de bruit, de narcissisme et de contradictions bruyantes, la Loge devient une arche fragile où peut se vivre, à nouveau, la fraternité. Non la fraternité de slogans, mais celle, réelle, tangible, du regard porté sans jugement, de la parole tenue, du silence partagé.
François Deschatres le rappelle avec justesse : la Franc-Maçonnerie est une école de l’éthique, du discernement et de la fidélité à la parole donnée. Non pas un lieu d’idéologie ou de doctrine, mais un creuset où s’élabore, par l’épreuve du rite et de l’Autre, un homme meilleur. Il n’élude pas la difficulté, ni les limites. Il nomme avec pudeur les illusions, les tensions, les incompréhensions. Mais il le fait sans aigreur, avec cette bienveillance mêlée de lucidité qui caractérise ceux qui ont longuement œuvré, sans rien attendre que de devenir un peu plus vrais.
Il y a dans son regard une inquiétude sobre sur l’état du monde – individualisme, dématérialisation, perte des repères spirituels – mais aussi une confiance calme : tant que des femmes et des hommes se réuniront en Loge pour tracer la voie du Juste et de l’Humble, la lumière ne s’éteindra pas. À rebours des tendances, François Deschatres affirme que la Franc-Maçonnerie est un espace de résistance douce, un îlot d’espérance tissé de silence et d’exigence.
Tout l’ouvrage est traversé par cette idée maîtresse : la Franc-Maçonnerie ne donne pas de réponses, elle pose des questions. Elle ne forme pas des orateurs, mais des hommes de silence. Elle ne promet rien, mais engage à tout. Elle ne propose pas une fuite, mais un retournement. Elle n’impose rien, mais exige beaucoup.
Nous découvrons, au fil des pages, un homme pour qui l’Art Royal n’est pas un hobby ni un engagement sociétal, mais une voie de transformation radicale. Un chemin de vie. Une école d’espérance incarnée, au cœur d’un monde désenchanté. Il sait que la Loge n’est pas le monde, mais elle en est la matrice inversée, celle où les valeurs d’humanité, de transmission, d’écoute, et de vérité se tissent encore, loin des dogmes, des médias et des algorithmes.
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François Deschatres, médecin ophtalmologiste de profession, a traversé plus de soixante-dix ans de vie maçonnique, à travers de nombreuses Obédiences et Loges qu’il a contribué à fonder ou à animer, à Paris comme en province. Homme de terrain, frère de cœur et de fidélité, il a occupé plusieurs charges rituelles et administratives sans jamais rechercher les honneurs. Il écrit comme il a vécu : sans bruit, sans pose, mais avec une profondeur d’âme nourrie d’expérience. Ce livre, publié une première fois en 2012, réédité en 2023 puis en 2025 chez L’Harmattan, est un condensé de cette vie vouée à la quête initiatique.
À la lecture, nous comprenons que ce n’est pas tant le Franc-Maçon qui s’exprime ici, mais l’Homme façonné par la Franc-Maçonnerie. Et c’est là le plus beau témoignage que l’on puisse offrir : celui d’un homme qui, dans le silence des Temples, a appris à dire vrai.
Les francs-maçons – Des inconditionnels de l’espoirFrançois Deschatres – Préface de Jean-Jacques JordiL’Harmattan, nouv. éd., 2025, 184 pages, 20 €