Dans la lumière tamisée d’un cabinet de réflexion, là où le silence épouse la pensée comme l’ombre épouse la lumière, Le monde global est-il universel ? – Kilwinning – Numéro spécial et Actes du Colloque de Bourges du 30 novembre 2024, publié par la S.EU.RE – s’impose tel un miroir tendu à la conscience de notre temps, mais aussi à l’âme de l’initié en quête d’unité. Sous cette interrogation apparemment simple se cache une méditation à plusieurs voix sur la condition spirituelle de l’humanité contemporaine : celle d’un monde globalisé qui semble avoir oublié le souffle de l’universel, au risque de ne plus savoir ce qu’il signifie être un Frère parmi les hommes.
Le monde global est-il universel ?
Dès les premières pages, la densité vibratoire du propos s’impose. Georges Lassous, en ouvrant les travaux, invite à cette posture d’écoute intérieure où l’intelligence se fait contemplation. Alain de Keghel, dans ses mots d’accueil, pose les fondements de ce chantier de réflexion : affranchie des appartenances obédientielles, la S.EU.RE devient un sanctuaire de l’esprit, un espace de pensée libre où l’Europe n’est plus une entité géographique, mais une respiration spirituelle. L’ouverture solennelle de Maixent Lequain déploie alors le fil rouge du colloque : faire dialoguer la mémoire initiatique avec les urgences du présent, sans céder ni au désenchantement ni à l’abstraction.
Chaque contribution devient alors un sillon profond dans ce champ symbolique. Olivier Ihl, dans une analyse magistrale, confronte le rêve d’un monde fraternel à la montée des populismes, cette forme contemporaine d’aveuglement collectif qui mine les fondations mêmes du dialogue et de l’altérité. Charles Susanne, dans une approche à la fois biologique et spirituelle, interroge les fondements d’un universalisme écologique : l’homme, en niant sa reliance avec la nature, trahit aussi l’universel en lui.
Ysabeau Tay Bother ose une question audacieuse : « L’Universel, une utopie ? » Mais loin d’en conclure à une négation, son texte nous conduit à l’orée d’une promesse – celle d’un idéal qui n’est pas une fin, mais un chemin, une ascèse de la pensée. La seconde intervention de Maixent Lequain, « Si tous les maçons du monde », vient comme une respiration fraternelle. Elle résonne comme une incantation poétique : et si le rêve de l’universel passait par le geste patient de chaque Franc-Maçon posant sa pierre, non pour uniformiser, mais pour accorder ?
La voix de Corinne Perchet explore quant à elle le lien entre l’universel et la littérature. Car c’est bien là aussi que se joue la quête : dans les mots, les récits, les mythes qui fondent une mémoire partagée. La littérature devient alors un miroir de l’universel, ou plutôt, un chantier où se taillent les pierres du sens. L’universel y est affronté, parfois blessé, mais toujours recherché dans la complexité vivante du langage humain.
Léo Urgel, avec rigueur et hauteur de vue, replace la Déclaration universelle des droits de l’homme – adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948 à Paris. Cette charte, fruit d’un moment de clarté dans l’histoire tourmentée du XXe siècle, est aujourd’hui soumise à l’épreuve du réel. Ses acquis sont menacés, non tant par la critique rationnelle que par l’érosion lente du sens commun. L’universel n’est pas qu’un droit : il est une responsabilité.
Enfin, Sergio Cianella conclut cette fresque par une méditation sur l’universalité et la mondialisation. Il nous rappelle, avec gravité, que l’universel ne se décrète pas : il se construit, à travers le dialogue des différences, dans un travail constant de décantation. La mondialisation, en nivelant les singularités, menace de réduire l’universel à un décor vide. Mais il reste, pour qui sait voir, des lignes de force invisibles, des traces de lumière, des vestiges de l’Ordre.
Alain de Keghel
Et c’est Alain de Keghel, une fois encore, qui referme cet ouvrage en tissant les fils de cette tapisserie fraternelle. Il ne donne pas de conclusion, mais un appel : celui de ne jamais renoncer à l’idéal, même dans le fracas du monde. L’universel véritable n’est ni donné ni perdu : il est à bâtir, chaque jour, dans le cœur de l’initié, sur les chantiers visibles et invisibles de notre monde.
Ce livre est bien plus qu’un recueil d’actes : c’est une œuvre de reliance. Une loge ouverte à l’échelle du continent, un Temple où les pierres s’appellent populisme, écologie, droits de l’Homme, langage, tradition. Mais aussi éoute, fraternité, vigilance, espérance. En ces temps d’incertitude, la S.EU.RE nous rappelle que penser est un acte de foi, et que la Franc-Maçonnerie peut encore offrir à l’Europe – et au monde – une voie d’universalité patiente, dense et exigeante.
Le monde global est-il universel ? S.EU.RE – Actes du Colloque conjoint de 2024Éditions Numérilivre, 2025, 128 pages, 20 €