Une trace de lumière dans les ténèbres du haut Moyen Âge
Dans le silence minéral du Palais-musée des Archevêques de Narbonne sommeille, gravée dans la pierre, l’un des plus anciens témoignages de la présence juive en Gaule. La stèle funéraire de Justus, Matrona et Dulciorella – fratrie fauchée prématurément à la fin du VIIe siècle – est exceptionnellement présentée au public, du 9 avril au 9 octobre 2025, au sein du parcours permanent du musée d’art et d’histoire du Judaïsme (mahJ), à Paris.
ShalomConservée au musée d’Art et d’Histoire de Narbonne, cette stèle constitue la plus ancienne inscription juive connue en France. Datée de 688-689, elle est dédiée aux trois enfants de Paragorus : Justus (trente ans), Matrona (vingt ans) et Dulciorella (neuf ans). Rédigée en latin, elle est incontestablement juive, comme en attestent la représentation d’un chandelier à sept branches – symbole ancestral de la spiritualité d’Israël – et la bénédiction finale en hébreu : Shalom al Yisrael, « Paix sur Israël ».À première vue modeste, cette pierre dressée est un phare dans la nuit des siècles. Elle nous éclaire sur la condition des Juifs de Narbonne, au sein d’un royaume wisigothique dont les lois religieuses oppressantes ont marqué l’histoire. Le père des défunts, Paragorus, y est qualifié de dominus, un titre rare pour un Juif à cette époque, révélant un statut social élevé et une intégration certaine dans la cité narbonnaise. Un autre monument funéraire juif, conservé également à Narbonne, témoigne de l’ampleur de cette présence.
La mort simultanée des trois enfants interroge encore. Longtemps, on y vit la trace de persécutions liées au règne du roi Égica, connu pour ses édits antijuifs promulgués dans le royaume de Tolède. Mais des recherches récentes, appuyées par des découvertes archéologiques et une relecture des actes des conciles de Tolède de 693 et 694, privilégient désormais la piste d’un épisode épidémique lié à la peste de Justinien, qui connut plusieurs résurgences à cette époque.
La stèle de Justus, Matrona et Dulciorella, NarbonneUne pierre vivante au cœur d’un héritage plurimillénaire
La présence juive à Narbonne est attestée dès le Ve siècle, notamment par des lettres de 470 et 473. Au VIIe siècle, des pierres gravées en latin et en hébreu ancrent durablement la communauté dans le paysage de la cité. Une tradition rapporte que Charlemagne aurait accordé aux Juifs narbonnais le privilège d’élire un « roi » ou chef communautaire, fonction qui se serait perpétuée sous la dynastie makhirite, réputée descendante du roi David. Cette lignée aurait joué un rôle éminent dans l’organisation religieuse et civile de la communauté, jouissant de droits étendus et d’un rayonnement reconnu.
Narbonne devint au Moyen Âge un centre intellectuel majeur du judaïsme. Des figures comme Kalonymos, Jaccaben Jekar (maître de Rachi) ou encore David Kimchi (auteur du Sefer Hashorashim) y vécurent, contribuant à la diffusion du savoir en hébreu, en arabe, en espagnol et en français. La communauté, bien insérée dans la vie sociale et économique, fut marquée par quelques violences – comme les émeutes de 1236 – mais conserva jusqu’à l’expulsion de 1306 une réelle vitalité, forte de 825 personnes, soit près de 4 % de la population.
Aujourd’hui encore, une petite communauté juive subsiste à Narbonne, dynamisée par l’arrivée de familles séfarades d’Afrique du Nord dans les années 1960. La ville conserve une synagogue et valorise ce patrimoine lors d’événements culturels, notamment les Journées européennes du patrimoine.
Une leçon de fraternité et de mémoire
Pour le Franc-Maçon en quête de sens, cette stèle n’est pas qu’un vestige archéologique. Elle est le miroir d’une mémoire partagée. Elle témoigne du deuil et de la transmission, de la dignité face à l’adversité, de la lumière du Verbe qui résiste au chaos des temps. À travers la tendresse d’un père élevant une pierre pour ses enfants, elle touche à l’universel, et fait vibrer cette intuition initiatique que la mémoire des anciens éclaire le présent de ceux qui marchent encore.
mahJ, cour d’honneur – coll. particulièreDans la Salle Moyen Âge du mahJ, cette pierre invite au recueillement. Elle nous rappelle que la fraternité humaine n’est pas un mot d’époque, mais un fil ténu qui traverse les âges, reliant les peuples, les croyances et les traditions, même au cœur des périodes les plus obscures. Elle nous enseigne que les civilisations, à l’image des stèles, ne tiennent debout que si nous les honorons, les interrogeons et les transmettons.
« La stèle de Justus, Matrona et Dulciorella, témoin silencieux d’une époque lointaine, nous invite à méditer sur la fragilité de la vie et la force de la mémoire. »Informations pratiquesLieu : Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, Hôtel de Saint-Aignan, 71 rue du Temple – Paris 3eDate : du 9 avril au 9 octobre 2025
Salle : Moyen Âge – parcours permanent
Tarifs : Plein 13 € ; Réduit 9 € (18-25 ans non-résidents européens, familles nombreuses) ; Réduit 5 € (18-25 ans résidents UE) ; Gratuit pour les Amis du mahJ et les moins de 18 ans
Réservation fortement recommandée, y compris pour les gratuités : en ligne, sur place ou par téléphone au 01 53 01 86 57