Sous les dehors d’un essai rigoureux, Fêtes et pèlerinages dans la Bible convoque la mémoire d’un peuple, l’intimité d’un texte sacré et la trame initiatique d’un cheminement. Bien plus qu’une œuvre d’érudition, cet ouvrage nous offre une traversée intérieure, une invitation à la halte, à la célébration, à la marche et à la mémoire. Car tel est bien son propos : réinscrire les fêtes bibliques dans leur souffle originel, à la fois vivant, tellurique et spirituel, et rappeler qu’elles ne sont nullement les vestiges d’un folklore disparu, mais des épiphanies de la Présence, des seuils de passage, des instants d’ouverture où le monde se relit à la lumière du sacré.
Christian Grappe et Alfred Marx ne livrent pas ici une juxtaposition de connaissances liturgiques ou historiques. Leur texte épouse la respiration même de l’Ancien et du Nouveau Testament, la lente montée vers le sanctuaire, la montée vers Jérusalem, la montée vers soi. Ils ne s’intéressent pas seulement à ce que les textes disent, mais à ce qu’ils laissent deviner, à ce qu’ils invoquent en creux… Le frémissement d’une communauté qui s’arrache à la banalité des jours pour se rendre visible à elle-même dans la joie partagée, la mémoire active, le rite, l’offrande.
Fêtes et pèlerinages dans la BibleNous avançons, pas à pas, aux côtés du peuple hébreu dans ses déplacements sacrés, non comme de simples témoins lointains, mais en tant que pèlerins intérieurs, compagnons de cette humanité en marche vers le sanctuaire. Il ne s’agit pas de revivre des épisodes figés dans la pierre de la mémoire, mais de les laisser irriguer notre présent, de les recevoir comme autant d’archétypes toujours actifs, d’archéologies vivantes de l’âme. Les trois grandes fêtes de pèlerinage – Pessa’h, Chavouot, Souccot – apparaissent alors non comme des rituels d’un autre âge, mais comme des matrices initiatiques, des lieux de passage qui, aujourd’hui encore, peuvent nourrir celles et ceux qui cherchent à sortir de l’horizontalité du monde pour s’élever vers une verticalité intérieure.
Pessa’h, fête de la délivrance, ne se contente pas d’évoquer l’exode hors d’Égypte : elle nous parle, ici et maintenant, de notre propre libération. Non celle qui consisterait à fuir géographiquement une oppression extérieure, mais celle plus essentielle qui exige de rompre avec les chaînes invisibles qui nous asservissent : l’habitude, l’oubli de soi, la servitude volontaire, le confort des certitudes. Elle rappelle que l’homme est un être en partance, que la sortie d’Égypte est toujours à recommencer, et que la hâte du départ – cette pâte qui n’eut pas le temps de lever – est le symbole de la nécessité d’un arrachement sans délai, d’un engagement sans retour.
Chavouot, la fête des Semaines et des Semailles, célèbre le Don de la Loi – non comme un décret imposé, mais comme une alliance offerte. Ce n’est pas la pesanteur d’un commandement extérieur qui se manifeste ici, mais la fécondité d’un lien mûri, d’un engagement librement consenti. Ce don est une semence jetée dans le sol intime du cœur, un dévoilement silencieux qui germe dans l’humus de l’âme.
Fête de la maturité spirituelle, Chavouot marque ce moment où la liberté cesse d’être pure revendication pour devenir responsabilité. La parole divine, loin d’aliéner, éclaire ce que nous sommes appelés à devenir. Comme tout véritable don initiatique, elle ne contraint pas : elle confie. Elle confie à chacun la garde du feu, la vigilance intérieure, le soin de l’Arche invisible où repose le secret du monde.
Souccot, enfin, nous enseigne la sagesse de l’impermanence. Dans la cabane précaire, érigée pour quelques jours sous le ciel étoilé, se manifeste une vérité que les murailles ne savent pas dire. L’existence nomade, la fragilité assumée, l’hospitalité du provisoire deviennent des enseignements à part entière. Souccot rappelle que c’est dans l’espace non clos, dans l’ouverture à l’altérité, que le divin peut se dire. Il n’y a pas de maison plus solide que celle faite de vent, de branches et de confiance. La cabane est temple, et sa lumière, celle de l’étoile flamboyante qui veille sur les veilleurs.
Chacune de ces fêtes, dans sa richesse rituelle, dans sa profondeur symbolique, devient un miroir tendu à notre conscience. Ce ne sont pas de simples reconstitutions ou des célébrations répétitives : elles sont des seuils. Des passages. Des invitations à habiter le temps autrement. À le sanctifier. Elles appellent à faire halte dans nos vies trop pleines, à réapprendre la valeur du rythme, du souffle, de la mémoire agissante. Elles nous rappellent que l’homme est un être de rite, non dans le carcan d’un ritualisme figé, mais dans la ferveur d’une gestuelle signifiante, où le sens s’incarne dans la matière, et le mystère se rend visible.
Fêtes et pèlerinages dans la Bible, 4e de couv.
Avec Christian Grappe et Alfred Marx, ces fêtes retrouvent leur puissance tellurique et céleste. Elles se donnent à lire comme des figures de l’initiation, des archétypes collectifs, des expériences-limites où l’histoire se fait mythe, et le mythe, pédagogie de l’être. Nous ne les contemplons pas à distance : elles nous traversent, elles nous appellent. Et si nous acceptons de les écouter, non comme des textes anciens, mais comme des résonances intérieures, alors elles peuvent, véritablement, devenir chemins de transfiguration.
Le pèlerinage biblique, tel que restitué ici, n’a rien de touristique ni d’ornemental. Il est acte d’allégeance, geste de reconnaissance, offrande de présence. En chaque déplacement vers le sanctuaire, le fidèle reconnaît le Dieu qui l’a tiré de l’anonymat, le Dieu qui voit et qui se laisse voir – non pas dans l’éblouissement d’une révélation foudroyante, mais dans la régularité d’une fête, dans la lenteur d’un chemin. Le sanctuaire n’est pas seulement un lieu : il est le signe de l’Alliance. S’y rendre, c’est se re-lier, dans l’acceptation pleine du mot religion. C’est affirmer, face au monde et à soi, que nous avons été appelés et que nous répondons présent.
Alfred Marx excelle à faire revivre les réalités concrètes des anciens pèlerinages : la préparation des offrandes, la montée en procession, la rencontre joyeuse au Temple, les repas partagés, le tumulte festif, les prières murmurées ou chantées, les cantiques de louange. Rien ici ne relève du pur décor. Le détail anthropologique se fait mystagogie. Il devient clef de voûte d’un édifice symbolique où chaque geste, chaque offrande, chaque marche est transfiguré.
Derrière la dimension sociale et politique du rite, perce la dimension théophanique. Le repas sacrificiel n’est pas simple banquet : il devient communion. Le chant n’est pas une distraction : il est offrande vocale. Le déplacement n’est pas logistique : il est passage initiatique, conversion du regard, redéfinition de l’appartenance.
Christian Grappe, pour sa part, prolonge cette lecture dans la perspective néotestamentaire. Il montre comment ces fêtes et ces pèlerinages trouvent leur accomplissement – non leur abolition – dans la figure du Christ. Le Nouveau Testament s’inscrit dans cette dynamique de relecture : la Pâque devient offrande totale, Pentecôte effusion de l’Esprit, la Fête des Tentes, espérance eschatologique. Le pèlerinage ne s’abolit pas : il s’intériorise. Le Temple ne disparaît pas : il devient corps vivant. La fête ne s’efface pas : elle est inscrite dans la mémoire eucharistique. Le temps chrétien reste un temps festif, un temps de passage, où chaque rite devient trace d’un Invisible qui se donne à reconnaître.
En vérité, je vous le dis, ce livre ne se lit pas seulement comme une étude exégétique. Il se médite. Il se vit. Il invite le lecteur à retrouver en lui la géographie intérieure du sanctuaire, à redécouvrir les rythmes oubliés de la fête véritable – celle qui relie la terre et le ciel, le visible et l’invisible, le frère et le semblable. Il rappelle que les fêtes sont des pauses sacrées dans le grand chantier de l’histoire, des havres de lumière dans la nuit de la modernité, des chants sur les lèvres d’un peuple en marche.
Christian GrappeChristian Grappe, professeur de Nouveau Testament à la Faculté de théologie protestante de Strasbourg, est reconnu pour ses travaux sur la figure de Paul, les origines du christianisme et les ancrages juifs du Nouveau Testament. Parmi ses ouvrages majeurs figurent Paul, apôtre du Christ et Naissance du Christianisme, références incontournables dans l’étude des origines chrétiennes.
Alfred Marx, théologien bibliste, professeur émérite à l’Université de Strasbourg, est l’un des grands spécialistes contemporains du rituel biblique, du sacré et des institutions cultuelles de l’Israël ancien. Son érudition, toujours incarnée, donne chair à la parole rituelle. Ensemble, ils ont également signé deux ouvrages fondamentaux sur le thème du sacrifice dans la Bible, formant ainsi un triptyque cohérent et inspiré.
labor-et-fidesFêtes et pèlerinages dans la Bible s’adresse à toutes celles et tous ceux pour qui le texte biblique est plus qu’un patrimoine : un appel. Ce livre est un viatique pour celles et ceux qui, à travers le tumulte des jours, cherchent encore la trace d’un chemin, l’éclat d’une étoile, la mémoire d’une voix. Ce n’est pas un guide, mais un compagnon de marche. Il ne fournit pas de réponses toutes faites, mais il réveille en nous les questions vraies. Il ne célèbre pas seulement les fêtes du passé : il invite à les vivre, ici et maintenant, dans l’intimité du cœur et l’assemblée des Frères comme un chant ancien qui continue de résonner au seuil du Temple intérieur.Fêtes et pèlerinages dans la Bible Christian Grappe – Alfred MarxLabor et Fides, 2025, 192 pages, 20 € – Format Kindle 14,99 €