Dans Corsica Enigma – Les Sentinelles de Saint-Jean, Michel Viallefond nous tend un miroir à doubles fonds. Celui d’une terre insulaire en quête de réconciliation avec ses mystères, et celui d’un homme, Pierre Renucci, habité par une soif de vérité qui le dépasse. Le roman, sous ses allures de thriller ésotérique, révèle bien davantage qu’une aventure codifiée. Il se fait chant intérieur, murmure initiatique, offrande à la Corse et à ses replis tissés d’histoire, de sang et de lumière.
La Corse, île de Beauté, n’y est pas un simple décor pittoresque ou un arrière-plan folklorique. Elle est une protagoniste à part entière, une terre vibrante de mémoires occultées, dépositaire de forces immémoriales, de fidélités ancestrales, de serments tus sous les cyprès, les oliviers et les clochers penchés vers la mer. Elle parle le langage des pierres et du vent, des chapelles oubliées et des montagnes habitées d’esprit. Face à elle, Rome vibre comme un double inversé, tendu entre dogme et vérité étouffée, entre la verticalité du pouvoir et le silence des âmes éveillées.
Corsica EnigmaPierre Renucci, journaliste initié aux arcanes des symboles, incarne cette humanité qui chemine, tâtonne, déchiffre. Comme dans un cabinet de réflexion à ciel ouvert, son enquête est une descente dans les strates profondes d’un monde où la réalité visible n’est que le voile posé sur une architecture plus vaste, plus ancienne. Carnet en main – tel l’outil du scribe ou le tracé du Maître –, il franchit les seuils : ceux du doute, de la peur, de la solitude, mais aussi de la révélation. À ses côtés, les figures amicales qu’il croise deviennent les sentinelles d’un Temple sans murs, où la Fraternité se conjugue au péril, et où l’aide véritable vient de ceux qui, silencieusement, gardent la mémoire des choses essentielles.
Michel Viallefond ne s’encombre pas de didactisme. Il préfère la résonance à la démonstration, l’écho à l’assertion. Ses lignes vibrent de la musique propre aux récits initiatiques : elles accompagnent, éveillent, parfois déroutent, mais jamais ne trahissent. Le lecteur n’est pas pris par la main – il est appelé. Ce n’est pas un roman pour divertir, c’est un appel à l’éveil. Et si l’action y est présente – courses-poursuites, filatures, dangers – elle est toujours au service d’une autre urgence… celle de l’esprit en quête, du Franc-Maçon intérieur qui, dans les replis de la Corse ou les ruelles romaines, recherche sa propre étoile flamboyante.
L’ésotérisme y est traité avec pudeur, mais précision. Les allusions sont multiples : à l’Ordre de Saint-Jean, aux sentiers chevaleresques, aux liturgies cachées, aux transmissions enfouies dans la pierre ou le sang. Le roman ne surjoue pas le secret, il en épouse la respiration. L’invisible n’est jamais révélé frontalement, il est approché, suggéré, invoqué comme on prononce un mot de passe dans l’ombre du Temple. Les noms, les lieux, les objets – tout y devient signifiant, à condition de lire en regardant entre les lignes, à la manière du Maître traçant un symbole dans la poussière du monde.
Le lien entre la Corse et la Franc-Maçonnerie, encore peu exploré en littérature, trouve ici une densité nouvelle. Non comme simple rattachement exotique, mais comme trame possible d’une transmission oubliée, d’un dépôt secret confié à l’île du maquis et des vendettas. Ce lien, Michel Viallefond l’approche avec respect, presque avec déférence. Il fait de la Corse un sanctuaire d’ésotérisme vivant, encore vibrant des anciennes fidélités.
Drapeau de la Corse
À travers cette quête, c’est aussi notre propre chemin que nous sommes invités à relire. Par sa manière de faire se rejoindre la grande Histoire et les itinéraires intimes, l’auteur nous rappelle que les récits initiatiques ne relèvent jamais tout à fait de la fiction mais touchent à une vérité profonde, antérieure à tout récit, comme une mémoire d’âme en sommeil, prête à être réveillée. Chaque rebondissement de l’enquête devient alors une foulée de plus sur le sentier silencieux du cherchant.
Michel Viallefond
Michel Viallefond, auteur discret mais profondément engagé dans les voies de l’ésotérisme, signe ici son premier roman. Originaire de Corse, il a longtemps exploré les dimensions invisibles de l’histoire, en particulier celles qui unissent traditions spirituelles, géographie secrète et transmissions symboliques. Passionné par les Ordres anciens, l’héraldique, le symbolisme chrétien et la tradition maçonnique, il mêle à ses recherches littéraires une connaissance fine des rituels et de leurs langages voilés. Corsica Enigma s’inscrit dans cette veine de la littérature initiatique où l’intensité du récit n’annule jamais la profondeur du sens, et où chaque page est un seuil.
Ce roman, à sa manière, œuvre à la manière d’un Tracé, comme une figure à la fois visible et à recomposer. Il faut savoir y lire les lignes de fuite, les correspondances muettes, les axes de lumière. Plus qu’un roman, c’est une invitation à rouvrir notre propre carnet, celui où nous avons inscrit, peut-être sans le savoir, notre propre itinéraire de sentinelle. Une œuvre pour ceux qui n’ont jamais cessé d’écouter ce que disent les pierres, les îles, et les secrets que seule l’ombre peut protéger.
DETRADCorsica Enigma – Les Sentinelles de Saint-Jean Michel Viallefond – DETRAD aVs, coll. EnQuête Initiatique, 2025, 248 pages, 18 €