Résumé en français : Dans Le devoir d’espérance – Faire face à la crise spirituelle, Yann Boissière affirme que la crise majeure de notre époque est d’ordre spirituel. Au-delà des fractures économiques, écologiques ou sociales, il pointe une mutation anthropologique profonde, née du progrès technologique et numérique, qui dissout le for intérieur, abolit la limite et précipite l’humain dans un désarroi existentiel. Pourtant, le rabbin et penseur engagé convoque les ressources de la sagesse juive et des traditions spirituelles pour esquisser une voie d’espérance. Loin d’un discours de renoncement, son propos est un appel à réenchanter l’existence par une réappropriation du sens, une redécouverte de la bénédiction, et une spiritualité qui n’élude ni la lucidité ni l’altérité.
Le devoir d’espéranceAbstract in English : In The Duty of Hope – Facing the Spiritual Crisis, Yann Boissière asserts that the most profound crisis of our time is spiritual in nature. Beyond economic, ecological, or social turmoil, he identifies a deep anthropological shift brought on by technological and digital upheaval, one that dissolves inner life, negates boundaries, and plunges humanity into existential disarray. Yet, the rabbi and committed thinker draws on Jewish wisdom and universal spiritual teachings to outline a path of hope. Far from resignation, his vision calls for a re-enchantment of life through a rediscovery of meaning, the gift of blessing, and a spirituality that embraces both lucidity and otherness.
Resumen en español : En El deber de la esperanza – Enfrentar la crisis espiritual, Yann Boissière sostiene que la crisis más profunda de nuestro tiempo es de naturaleza espiritual. Más allá de las fracturas económicas, ecológicas o sociales, señala una mutación antropológica provocada por los avances tecnológicos y digitales, que disuelven la interioridad, niegan los límites y sumen al ser humano en un desconcierto existencial. Sin embargo, el rabino y pensador comprometido recurre a la sabiduría judía y a las tradiciones espirituales para trazar un camino de esperanza. Lejos de la resignación, su propuesta es una invitación a reencantar la existencia mediante la reapropiación del sentido, el redescubrimiento de la bendición y una espiritualidad que no elude ni la lucidez ni la alteridad.
Il est des livres dont la lecture ne se contente pas de nourrir l’intellect : elle éclaire l’âme, met le cœur en mouvement, et réveille cette étincelle intime que nous portons tous en nous, parfois sans même le savoir.
Le dernier ouvrage de Yann Boissière, Le devoir d’espérance – Faire face à la crise spirituelle, appartient à cette catégorie rare et précieuse. Il ne se limite pas à énoncer une pensée : il trace un chemin, il tisse une voie – celle d’une réconciliation entre la lucidité de l’analyse et la profondeur de l’espérance, entre la finitude assumée et la verticalité retrouvée.
L’auteur n’est pas un penseur abstrait. Il est un homme traversé par le monde. Yann Boissière a d’abord cheminé dans l’univers du cinéma, en tant que scénariste, avant de recevoir l’ordination rabbinique en 2011. Il fonde ensuite l’association Les Voix de la Paix, résolument engagée dans le dialogue interreligieux. En 2020, il devient secrétaire général de l’Institut des hautes études du monde religieux (IHEMR), portant ainsi sa voix dans les lieux où se pense l’interface entre spiritualité, modernité et société. Son œuvre s’est progressivement imposée comme l’une des plus singulières de la scène intellectuelle française, entre enracinement hébraïque et ouverture aux sagesses universelles. Il est notamment l’auteur de Éloge de la loi (Cerf, 2017), et de Heureux comme un juif en France ? Réflexions d’un rabbin engagé (Tallandier, 2021). Son site personnel – www.yannboissiere.com – s’ouvre sur cette parole-clef, extraite du présent ouvrage :
« S’ouvrir à la spiritualité, aujourd’hui, signifie ouvrir notre humanité à une perspective plus large que le projet moderne, plus ample que la domination de l’esprit, de la volonté et du contrôle. » (Le devoir d’espérance, p. 123)
Ce livre, justement, déploie cette conviction profonde. Il s’ouvre sur un constat implacable : l’homme moderne, érigé en individu souverain depuis Descartes, vacille désormais sous le poids de sa propre autonomie. Ce n’est plus seulement une crise économique, politique ou écologique que nous affrontons – c’est une perte de l’axe, une érosion silencieuse mais radicale de notre intériorité, une dissolution du sens. Dans ce désert de la signification, où tout semble peser, mesurer et contrôler, le souffle de l’esprit se fait rare. L’auteur, dans une prose d’une limpide gravité, ose nommer ce que notre époque feint d’ignorer : la crise est d’abord spirituelle, et toutes les autres en procèdent.
Yann Boissière n’oppose pourtant pas à ce constat un messianisme creux ou une consolation artificielle. Il invite, avec la rigueur d’un sage et la tendresse d’un veilleur, à une réhabilitation de l’espérance – non comme simple vertu morale, mais comme une force ontologique, un ferment de présence au monde. Loin des utopies naïves, l’espérance ici s’éprouve à travers l’acceptation de nos limites, le refus de la toute-puissance, l’humilité devant le mystère. Il s’agit moins de croire que de consentir : consentir à la finitude, à l’altérité, au temps qui passe – autant de gestes initiatiques qui, dans le silence d’une conscience éveillée, permettent au sens de rejaillir.
Le rabbin Yann BoissièreEn se fondant sur les enseignements de la tradition juive, qu’il connaît intimement et restitue avec une rare élégance, Yann Boissière entrelace les textes anciens et les urgences contemporaines. Il cite, médite, interprète non comme un doctrinaire, mais comme un artisan de sens, un compagnon du Verbe. Il convoque aussi les voix de la sagesse universelle, dans une polyphonie qui rappelle, à chaque page, que l’espérance n’est l’apanage d’aucune religion, mais le cheminement propre à toute conscience en quête de verticalité.
Le lecteur initié reconnaîtra, sous la plume de l’auteur, des échos familiers : le miroir de Narcisse et l’invitation au dépassement de l’ego ; la notion de bénédiction comme présence du sacré dans le profane ; l’hypermodernité comme culte profane du démiurge mental ; la reconquête du silence intérieur comme fondement d’un agir juste. Les symboles abondent, mais jamais comme un ornement : ils sont opératifs, éveilleurs, porteurs d’un travail sur soi. Ce n’est pas un hasard si le chapitre sur la bénédiction fait résonner la parole sacrée dans sa dimension de don et de responsabilité – une parole qui bâtit et qui lie, à l’image de celle que nous recevons dans le Cabinet de réflexion et portons tout au long de notre cheminement initiatique.
Le style de Yann Boissière est à l’image de son propos : dense mais fluide, rigoureux sans jamais perdre de sa chaleur humaine, lumineux jusque dans ses interrogations. Il écrit comme on respire dans un Temple : avec cette conscience aiguë que chaque mot peut être une clef. C’est une écriture qui ne prétend pas enseigner mais éveiller, une écriture à hauteur d’âme, que l’on reçoit comme une lumière d’Orient.
Et c’est justement cette respiration, ce rythme intérieur, que le sommaire de l’ouvrage vient incarner de manière saisissante. La troisième partie, intitulée « Cinq respirations », déploie cinq chapitres qui sont autant d’invitations à habiter l’esprit autrement : Nefesh (conscience et intériorité), Teshouvah (se réinventer), Na’assé ve-Nishma (faire ou savoir), Tikkoun (de la colère à la bénédiction), Ta‘am (trois leçons sur le sens).Le devoir d’espérance, 4e de couv.Ces cinq mots hébreux – que tout Franc-Maçon ne peut qu’accueillir avec ferveur – forment une véritable montée en puissance, une ascèse contemporaine, une échelle de Jacob dressée entre l’épreuve et l’espérance. Nefesh, c’est la respiration de l’âme-corps, l’ancrage dans l’unité de l’être. Teshouvah, c’est le retour à soi et à Dieu, non dans la culpabilité mais dans la capacité à relire sa vie à la lumière du sens. Na’assé ve-Nishma, c’est l’intuition fulgurante que l’agir précède le savoir, que l’initiation transforme avant de s’expliquer. Tikkoun, c’est l’appel à réparer le monde, dans une Alliance dynamique où l’homme est co-créateur. Et Ta‘am, enfin, c’est la saveur du sens : ce goût du monde que seule une conscience éveillée peut percevoir.
À la manière d’un rituel, ce livre nous traverse. Il nous rappelle que le monde ne sera jamais sauvé par des technologies, des slogans ou des lois. Il le sera, peut-être, par l’attention à l’autre, la réhabilitation du mystère, la fidélité à cette part invisible de nous-mêmes qui, malgré tout, continue d’espérer. En cela, Le devoir d’espérance est aussi une invitation maçonnique au sens le plus profond du terme : une invitation à bâtir – en soi et entre nous – le Temple de l’humanité.Le devoir d’espérance – Faire face à la crise spirituelleYan Boissière – Desclée de Brouwer, 2024, 200 pages, 17,90 € – Format Kindle 12,99 €